Le décret Bérard de 1924 : le bac pour les filles ?
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Nous célébrons, cette année, le centenaire du décret du 25 mars 1924 qui marque une étape dans l’accès des filles à qualification. Contrairement à ce qui a pu circuler suite à son évocation dans un journal télévisé, ce décret ne créée pas un « même baccalauréat » pour les filles et les garçons.
Pour comprendre l’enjeu et la portée de ce texte, il faut revenir rapidement sur l’enseignement secondaire féminin sous la IIIème République. Les lycées de jeunes filles, destinés aux enfants de la bourgeoisie, ont été fondés par la Loi Camille Sée promulguée en décembre 1880. Le cursus secondaire féminin n’est cependant pas aligné sur celui des garçons : plus court, avec deux cycles de trois et deux ans au lieu de quatre et trois pour les garçons, dépourvu d’enseignement du latin, sauf de façon très marginale, il ne prépare pas au baccalauréat, mais à son propre diplôme de fin d’études qui ne permet pas l’accès à l’université.
Cela ne veut en aucun cas dire que les filles n’avaient pas « le droit » de se présenter à l’examen. La première bachelière, Julie Daubié, le décroche d’ailleurs dès 1861. Du milieu des années 1860 jusqu’aux années 1880, un tout petit contingent de filles obtient le diplôme : 5 par an en moyenne. Dans les années 1880 et 1890, ce nombre augmente, avec une trentaine de lauréates par an. Et cette hausse devient exponentielle par la suite : à la session 1913, 346 filles décrochent le bac. Elles sont 685 en 1916. En 1925, alors que le décret Bérard n’est pas encore vraiment mis en application, elles sont presque 2 000, soit 18 % des admis.
La demande sociale est donc très forte, et elle est principalement prise en charge par l’enseignement privé catholique, qui voit là un moyen de se distinguer d’un enseignement public qui n’est pas en phase avec son temps.
Celui-ci cependant essaye de s’adapter. Dès avant la première guerre mondiale, l’accès des filles aux classes terminales des lycées (de garçon) était en débat, avec des expérimentations plus ou moins ponctuelles. En 1922, une circulaire encadre, et promeut d’une certaine façon, cette pratique « dérogatoire », qui a par ailleurs l’avantage d’apporter des effectifs supplémentaires au secondaire masculin alors en pleine crise, avec des établissements menacés de fermeture.
Léon Bérard, ministre issu de la droite la plus conservatrice, cherche donc à éviter ce qui pourrait être le pire. Il ne faut ni fragiliser le secondaire masculin public, ni aller vers une mixité alors quasiment impensable, tout en répondant à la demande sociale sans ouvrir grand les vannes de l’accès au supérieur pour les filles et remettre en cause la détermination genrée des rôles sociaux. Son décret se limite donc à permettre la création d’une section de préparation au bac dans les lycées de jeunes filles, tout en précisant que pour « la grande majorité », le secondaire féminin doit continuer à préparer à la « vie du foyer ». Et si les programmes et horaires féminins et masculins sont alignés, l’enseignement de la couture, de l’économie domestique et de la musique, typiques de l’enseignement féminin, restent obligatoire pour les futures bachelières.
Le décret Bérard est donc assez typique de la politique « malthusienne » de la droite du XXème siècle en matière scolaire : quand il apparaît qu’il n’est plus possible de bloquer la demande sociale de scolarisation et de qualification, elle essaye de l’endiguer et de la limiter.