Le SNEP, UA et la « sportivation » de l’EPS
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S’il faut rendre hommage à Marcel Berge, récemment décédé, en pleines olympiades, c’est sans doute en mesurant combien son accession à la fonction de secrétaire général du SNEP, en 1969, fut le produit d’un travail de fond de la tendance Unité et action au sein de ce syndicat.
Plus encore qu’au SNES, qui avait « basculé » du côté d’UA deux ans plus tôt, ce changement de majorité correspondait à une adhésion affirmée des personnels à ce que l’on appelle la « sportivation », une transformation du métier de professeur d’EPS et de la discipline elle-même, et qu’UA avait soutenue, et même contribué à théoriser.
De quoi s’agit-il ? Au risque de la simplification, l’éducation physique, une fois débarrassée de son inspiration militaire, était jusque dans les années 1960 conçue essentiellement comme une forme d’hygiène corporelle, et son enseignement reposait sur des activités et exercices dont la conception et l’usage étaient quasi-exclusivement scolaires, que l’on résumait souvent en parlant de « gymnastique ».
Dès l’après-guerre, cette vision commence à être contestée, et ce d’autant plus que la pratique sportive s’est démocratisée, et que le sport lui-même devient une activité fortement socialisée et aussi politisée. Les compétitions internationales, notamment, apparaissent comme un substitut à l’affrontement militaire, et une des formes, symboliques, de la guerre froide.
La question d’une mutation de l’enseignement scolaire pour y inclure la pratique sportive est portée par le pouvoir dès l’arrivée de Maurice Herzog au secrétariat d’Etat à la jeunesse et aux sports (1958-66). La gestation est longue : ce n’est qu’avec les instructions officielles de 1967 que les activités sportives sont officiellement priorisées dans l’enseignement.
Pour le gaullisme, cela s’inscrit dans une volonté de restaurer la grandeur de la France en utilisant le potentiel de l’école, à côté de celui, nettement moindre alors, des fédérations sportives, pour faire émerger de futurs champions.
La volonté des militants UA du SNEP est évidemment tout autre. S’ils s’appuient objectivement sur cette politique, c’est avec une conception du lien entre l’école et la société qui n’est partagée ni par la droite gaulliste, qui veut une école au service de ses objectifs politiques, ni par la majorité « autonome » du SNEP et de la FEN, qui théorise une école-sanctuaire ayant ses propres principes et ses propres pratiques. Pour eux, il s’agit avant tout de faire entrer la réalité sociale dans l’école, et pour ce qui concerne l’activité physique, cette réalité, c’est le sport. C’est par le sport, tout à la fois comme « jeu » collectif et individuel et comme type de gestes et de pratiques, que les jeunes la connaissent et en ont une conscience. Plutôt que de les couper de cette conscience, de la nier, pour leur proposer des activités déconnectées, la « sportivation » prônée par UA veut s’appuyer sur elle pour donner du sens aux apprentissages et aux pratiques scolaires. A cela s’ajoute le fait que le sport, comme réalité sociale, est un système avec ses références, ses principes, voire ses valeurs, et qu’il constitue une « culture » à part entière, à laquelle il est nécessaire que l’école fasse accéder tous les jeunes, en lui appliquant une pensée rationnelle. C’est dans la même optique qu’au SNES, UA va ainsi mettre en avant les enseignements technologiques (qu’on appelle alors « techniques ») comme une culture à part entière, composante d’une culture générale commune que l’école doit transmettre.
Cette conception, UA la développe au SNEP en articulant approche théorique, s’appuyant notamment sur le travail de Robert Mérand (1920-2011), et pratique syndicale. Cette bataille proprement politique trouve un écho dans la profession, car elle est aussi en phase avec les aspirations à la reconnaissance de la part d’enseignants qui se sentent souvent comme la cinquième roue du carrosse, peu valorisés, moins qualifiés et donc moins rémunérés que les enseignants des disciplines « nobles ».
S’il fut sans doute moins impliqué dans cette élaboration qu’un autre militant UA, Jacques Rouyer (1939-2010), qui lui succéda à la direction du SNEP pour un long mandant de dix-huit ans, Marcel Berge était totalement en phase avec cette conception du rôle d’un syndicat et d’une tendance, qu’il mit en pratique, assurant à UA une majorité pérenne dans le SNEP.
Pour approfondir :
– Les notices biographiques dans le Dictionnaire Maitron :
Marcel Berge, https://maitron.fr/spip.php?article16323
Jacques Rouyer, https://maitron.fr/spip.php?article172209
Robert Mérand, https://maitron.fr/spip.php?article145564
– Guilhem Véziers, Une histoire syndicale de l’éducation physique (1880-2002), Syllepse, 2007
– Emmanuel Auvray et Yohann Fortune. « Réformer l’éducation physique, entre sportivisation et scolarisation : les cas de la natation et de l’athlétisme ». In Formation, transformations des savoirs scolaires, édité par Pierre Kahn et Youenn Michel. Caen : Presses universitaires de Caen, 2016