Bayrou, ministre de l’éducation nationale (1993-97)

samedi 14 décembre 2024
par  Hervé Le Fiblec
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Un ancien ministre de l’éducation nationale vient d’être nommé à la tête du gouvernement. C’est presque un événement. Si le cas n’était pas rare des débuts de la Troisième République jusqu’à la Grande Guerre (citons, sans exhaustivité, Jules Simon, Armand Fallières, Jules Ferry, Léon Bourgeois, Raymond Poincaré, Emile Combes, Aristide Briand, Gaston Doumergue...), ça l’est devenu dès les années 1920, et jusqu’à la fin du siècle. Durant toute cette période, seuls Edouard Dalladier (1925-26) et Camille Chautemps (1930-31) dirigèrent l’éducation nationale avant d’accéder à la présidence du Conseil. Ce ne fut le cas d’aucun des ministres de la IVème République, ni d’aucun de ceux qui le furent sous les présidences de De Gaulle, Pompidou ou Giscard. Il faut attendre 1997 pour que Lionel Jospin, ministre de 1988 à 1992, arrive à Matignon. François Fillon, qui reste à peine plus d’un an au ministère, en 2004-2005, est le Premier Ministre de Nicolas Sarkozy en 2007. On peut ajouter à la liste Gabriel Attal, même si tant son passage rue de Grenelle (5 mois et demi) qu’à Matignon (6 mois) furent brefs.

François Bayrou fut donc ministre de l’éducation nationale de 1993 à 1997. C’est déjà presque de l’Histoire. Nommé dans le gouvernement de cohabitation dirigé par Edouard Balladur, Bayrou est, comme le dernier ministre de droite, Monory (1986-88), un centriste. C’est surtout un ancien enseignant, même s’il n’a exercé que quelques années avant de basculer dans une carrière politique.

Pour lui, ça commence mal. Comptant sans doute sur l’affaiblissement du syndicalisme enseignant, alors que la direction de la FEN vient de faire exploser la fédération, et que la FSU est à peine en chantier, le nouveau gouvernement de droite entend faire sauter le verrou qui limite le financement de l’école privée par les collectivités locales en révisant la Loi Falloux. La réplique est de taille : une grève massive le 17 décembre, juste après l’adoption de la loi par le Sénat, puis une manifestation monstre le 16 janvier, avec plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues de Paris. La loi, jugée inconstitutionnelle, est finalement retoquée.

Bayrou, qui n’était semble-t-il pas à l’initiative de ce projet, sent le vent du boulet, mais réussi à éviter la démission. Il change cependant radicalement de méthode, en mettant en avant la concertation avec les personnels, et avec les organisations syndicales. Or, lors des élections professionnelles qui viennent de se tenir, les personnels ont tranché : la toute nouvelle FSU a supplanté la FEN. Bayrou choisit de privilégier l’interlocuteur le plus fort, mais aussi le moins lié à l’opposition politique, la FEN apparaissant assez largement comme au service du Parti Socialiste, du moins à certains de ses courants.

De fait, le syndicalisme, et le SNES en particulier, peut revendiquer des avancées dans cette période : transformation d’heures supplémentaires en postes, création de l’observatoire de la sécurité des établissements, et le déblocage de crédits pour la mise en conformité du bâti, une loi de programmation pour l’enseignement public, limitée dans ses moyens, mais importante dans son principe. Elle n’empêche cependant pas des suppressions de postes, qui se poursuivent pendant plusieurs années. A la rentrée 1996, des inscrits sur liste complémentaire du CAPES, mais non recrutés (les « reçus-collés ») font une grève de la faim, et l’intervention du SNES permet de débloquer la situation en leur faveur.

En matière éducative, le bilan est contrasté. Indéniablement, la réorganisation du collège a marqué une étape en partie symbolique, mais forte, de démocratisation, avec la disparition du pallier d’orientation en fin de cinquième : désormais, le collège « unique » a vocation à amener tous les élèves jusqu’en troisième. En revanche, la mise en place d’une autonomie des collèges avec la possibilité de modulation des horaires disciplinaires (horaires « plancher » et « plafond ») suscite la mobilisation des enseignants, mais Bayrou ne recule pas. Le gouvernement ne parviendra cependant pas à faire passer son projet de « SMIC jeune », combattu dans la rue par les étudiants et lycéens notamment, ni le ministère une réforme du bac supprimant les épreuves finales, remplacées par du contrôle continu.

En 1995, Bayrou est le seul ministre du gouvernement Balladur à rester en place après l’élection de Jacques Chirac à la Présidence de la République. Le nouveau Président veut une grande réforme de l’éducation, et une mission de réflexion est confiée à Roger Fauroux, un technocrate oscillant entre le centre-gauche rocardien et le centre-droit, et dont le rapport rassemble toutes les recettes de la droite et du libéralisme en matière d’éducation, mettant simplement au goût du jour ce que l’on trouvait déjà chez Olivier Giscard d’Estaing en 1971 (éducation et civilisation, publié chez Fayard).

Si, au final, le rapport Fauroux est enterré, en partie du fait de l’opposition de Bayrou à ses conclusions, l’actualité syndicale est marquée par la lutte, victorieuse, contre le Plan Juppé de réforme des retraites. En mai 1997, Jacques Chirac dissout l’assemblée nationale, et le mois suivant, la gauche remporte les élections. Lionel Jospin nomme au ministère de l’éducation nationale Claude Allègre, dont l’attitude agressive et la politique brouillonne, dont le seul objectif visible était de combattre par tous les moyens le SNES, coûtera au Premier Ministre et à son parti de s’aliéner durablement une bonne part des enseignants.

Le bilan final du passage de Bayrou rue de Grenelle est mitigé. La mobilisation et le souci du ministre de mener un vrai dialogue avec les syndicats majoritaires ont permis d’éviter la mise en œuvre du programme et des orientations de la droite, sauf en matière budgétaire, car les moyens n’ont pas été à la hauteur. L’action a aussi permis quelques acquis, notamment pour la démocratisation, mais aussi la titularisation de précaires.
Le fait est, cependant, qu’il ne s’est pas mis à dos les enseignants. En 2007, par exemple, lorsqu’il se présente à la présidentielle, il obtient 5 pts de plus dans ce groupe d’électeurs que dans l’ensemble de la population (24 % contre 18,5 % - sondage sortie des urnes par l’IFOP pour la FSU). En 2012, il conserve, malgré un retour en grâce du vote socialiste (40 % pour Hollande contre 29 % pour l’ensemble des électeurs) une certaine faveur (14 % chez les enseignants contre 9 % , voir les analyses de L.Rouban dans la Revue française d’administration publique en 2013). Il annonce d’ailleurs voter pour Hollande au second tour.

Quant à l’attitude du SNES pendant la période, le mieux est de laisser la parole à celle qui était sa secrétaire générale à l’époque, Monique Vuaillat, qui explique dans ses mémoires (en 2001) : « Ceux que j’ai vu pratiquer, dans les années 80, des politiques dites « du moindre mal », ceux qui nous disaient, alors même qu’ils étaient au pouvoir, qu’il valait mieux emprunter quelques idées au projet de la droite, pour les appliquer d’une façon moins libérale que ne le ferait la droite, nous reprochent maintenant de discuter avec un ministre de droite ! Si jamais nous réussissons à nous faire entendre, certains craignent que la droite soit créditée de mesures positives... Je n’ai jamais compris ces approches politiciennes : je ne fais que mon devoir de syndicaliste qui ne choisit pas ses interlocuteurs et qui exerce sa mission sociale. »


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